Billet simple pour l'Alaska

Un roman de Jean Forteroche

Le Fusil de Tchekhov : la technique indispensable pour un style parfait

Dans le cadre d’une pièce de théâtre, il est aisé de voir l’intérêt d’un tel principe. Créer des décors peut être extrêmement fastidieux et coûter cher, alors à quoi bon s’embêter à créer encore plus de détails et d’accessoires qui ne seront pas utilisés ? Sans compter qu’ils peuvent perturber la lisibilité de la scène et embrouiller les spectateurs. De manière logique, ce principe est souvent utilisé au cinéma. Mais nous ne sommes pas ici pour parler théâtre ou grand écran. Le principe du fusil de Tchekhov peut être très utile en littérature, et plus particulièrement dans l’écriture d’un roman. Lors des premiers jets (insérer lien vers article), on est trop souvent tenté d’ajouter des détails, des descriptions, d’enchaîner les phrases à rallonge et les précisions laborieuses sur des aspects insignifiants. Lors de la relecture et réécriture du roman, il faut s’armer de courage et – pardonnez-moi l’expression – tailler dans le gras. Sans fléchir. A ce moment du processus de création, avoir à l’esprit le principe du fusil de Tchekhov se révèle particulièrement utile. Prenons l’exemple d’une scène entre deux de vos personnages principaux qui partagent un repas. Vous décrivez l’endroit, l’ambiance, vous faites vivre la scène pour vos lecteurs. Parfait. Lorsque vous décrivez cette salle à manger (ou restaurant), quels détails choisir à intégrer ? Allez-vous choisir l’exhaustivité ? Décrire les chaises, les tables, les fenêtres, toutes les décorations et tous les ornements ? Allez-vous décrire complètement chacun des personnages, avec une extrême précision, des pieds à la tête ? La plupart du temps, vous n’avez pas besoin d’entrer dans les détails pour faire vivre la scène. Attention, je ne dis pas que toutes les descriptions sont à supprimer ! Mais gardez bien en tête que le plus grand plaisir de lecture consiste à s’imaginer la scène. Chaque lecteur s’imagine son propre roman, et vous n’avez pas la maîtrise sur ce qu’imaginent vos lecteurs. Forcer “votre” vision de “votre” scène a pour résultat d’alourdir considérablement votre style et de rendre la lecture pénible et fastidieuse. Allez à l’essentiel dans vos descriptions , et focalisez-vous sur les détails qui marqueront vraiment le lecteur, et qui feront ressentir l’atmosphère de la scène. C’est à vous de faire un arbitrage entre le degré de détails et la fluidité de la scène. Et lorsque vient le temps du couperet, garder à l’esprit le principe du fusil de Tchekhov peut vous faciliter la vie. Ce détail est-il vraiment important ? Mes personnages vont-ils l’utiliser ? Est-ce qu’il a un impact sur une scène suivante, ou globalement sur l’intrigue ? Ajoute-t-il un trait de caractère primordial pour un personnage ? Prenons un exemple : vous passez un paragraphe à décrire une horloge magnifique accrochée à un mur dans une salle de restaurant. Vos personnages la regardent-ils ? Y font-ils référence ? L’horloge a-t-elle un quelconque intérêt dans l’intrigue ? Sert-elle à renforcer une certaine atmosphère ? Si vous supprimez le paragraphe, la scène change-t-elle fondamentalement ? Vous l’avez compris, si la réponse est “non”, ce détail n’a aucun intérêt et ne fait qu’alourdir la narration, vous pouvez le supprimer. Sans état d’âme. Même si vous avez passé du temps à peaufiner cette description, même s’il s’agit de l’horloge de votre grand-mère que vous souhaitiez replacer : si elle n’apporte rien, elle ne sert à rien, elle n’a rien à faire dans le récit.

le 2019-01-23 23:43:35
Auteur : Forteroche

Commentaires:

Ajouter un commentaire: